jeudi 12 décembre 2013

Jour 1 - L'arrivée

Mardi, 10 décembre 2013
une série d'impressions... dans la brume des décalages multiples...

Le soleil qui se lève derrière les montagnes d'Addis Ababa à notre arrivée en Éthiopie le matin... La lumière orangée inondant le monde. Transit de trois heures à l'aéroport, essentiellement passées à dormir sur les transats placés dans le hall d'attente. Flou brumeux... je suis en Afrique et je ne le réalise qu'à moitié

Nous sommes atterri à N'Djamena à 12h45 PM. Déjà dans l'avion il était possible de voir, le ciel étant clair, la topologie de l'Afrique centrale. Les terres sablonneuses, les quelques monts et collines ici et là, les petits villages isolés, les cours d'eau asséchés... et enfin le grand fleuve Chari, les terres inondables et les étendues vertes en arrivant vers N'Djamena.

Aux douanes on a essayé de prendre mon passeport et ma carte d'entrée afin d'en copier les données. De façon tout à fait décontractée, genre: « bon, moi je vais prendre ton passeport »... ce à quoi j'ai répondu : « ben en fait... non. »

Pour nous accueillir, Taïgue était là avec le chauffeur, Roger. Quel bonheur de retrouver Taïgue en chair et en os après tout ce temps, tout sourire! Et nous voilà dans les rues de N'Djamena, étourdis par le mouvement constant sous un voile de poussière. Les routes en terre battue sont un formidable fourmillement sinueux de voitures, piétons et vélos... Nous avons embarqué Yaya, danseur et chorégraphe qui s'occupe de nous en l'absence de Taïgue. Voyageant beaucoup – comme beaucoup d'artistes que j'ai rencontrés ici – Yaya a fait les festival de l'Afrique du nord au sud et d'est en ouest, et des résidences de création en Europe. Il affectionne particulièrement la rencontre et l'échange culturelle que permet l'art et la danse : « la création permet de véritables et de profondes rencontres entre les gens et les peuples », qu'il me dit. La discussion est bien lancée! Je suis heureux.

En route Taïgue nous a acheté, à chacun, une grande bouteille d'eau. C'est la coutume. Il s'agit à la fois d'une façon de souhaiter la bienvenue et, en même temps, c'est pour la bonne chance pendant notre séjour ici.

Nous habiterons, pendant les prochains jours, dans un « guest house » du quartier Sabagali. Nous avons chacun une chambre en périphérie d'une petite cour intérieure, chambres propres et confortables, cuisinette. Petite famille de minous (avec deux chatons adorables). C'est un véritable petit havre de paix au milieu du tumulte chaotique et vibrant de la ville. Et des gens super intéressants y habitent, beaucoup sont associés à différentes ONG... à suivre.

Petit moment de planning, petit temps pour s'installer – et se doucher enfin! Surtout ne pas faire de sieste... je ne m'en relèverais plus! À ce point-ci, mon corps ne comprend plus les heures et le temps. Tout est élastique.

Puis, en route vers le Ballet National où se déroulent les activités du festival Souar-Souar. Dans l'enceinte du Ballet (une scène carrée couverte donnant sur une grande étendue en terre battue, entourée de hauts mûrs), plein de petits stands de nourriture (brochettes et autres) et de boissons diverses. Déjà la musique hip-hop dans le tapis fait vibrer les lieux. Tests de son, repérage des lieux, installation des loges. J'ai croisé, dans les heures qui ont suivies, tant de gens qu'il m'est difficile de me rappeler les noms et les visages. Une communauté artistique foisonnante et très active était là, présente, accueillante, en quête d'échanges et de partage. À peine une heure après mon arrivée au Ballet, j'avais déjà plusieurs activités qui s'ajoutaient au programme du séjour : offrir un stage à une compagnie d'ici qui fait du clown (menée par un dénommé Djafat – on m'excusera l'orthographe, je pourrai écrire son nom comme il faut dans les prochains jours...), assister aux répétitions de la compagnie Jeunes Tréteaux (Hyacinthe Tobio)... puis aller faire une performance à l'institut français et à l'ambassade, d'abord « l'heure du conte » auprès des enfants, puis une petite création instantanée en trio avec Djafat et John (un danseur qui se passionne aussi pour les arts du cirque et le clown).


Je m'en vais me préparer (maquillage et échauffement) pour ma présentation...
Et puis le spectacle commence – une heure plus tard que prévu... c'est normal... on dit que le spectacle commence à 19h30 et les gens commencent à arriver vers les 20h! Si c'était comme ça chez nous, je serais moins à la course tout le temps ;o)
Et je comprends que ça va être rock'n'roll. La foule est en feu, jeune et bruyante. Électrisée et bordélique. Avide et inquiétante. On cri, on réagit à tout, on s'exprime... et fort! C'est beau, c'est impressionnant... et un peu épeurant!

Je ne passe que vers les 21h45, après des prestations touchantes – que je n'ai qu'entendues, caché dans la loge. Danse, musique, rap, slam, jeunes enfants, danseurs professionnels, amateurs, tradition et modernité s'enchaînent. Les réfugiés sont venu présenter de la danse traditionnelle, corps enflammés au son envoutant du djembe. Les animateurs de la soirée sont à la fois en mode animation de foule et gestion de camp de jour. On passe de « accueillons maintenant un artiste foooormidaable! » à « ne lancez pas de roches sur scène, soyez respectueux... sinon c'est plate pour tout le monde », à « si tu aimes le Soleil tape des mains! » à « Est-ce que tu es fa-ti-gué? Non je n'suis pas fatigué! », etc.

Avant même d'entrer en scène j'étais terrorisé. Grüm... j'allais lancer Grüm là-dedans. Allait-il survivre?
Ben... il s'est fait brasser!

Quelle expérience. Jamais je n'aurais pu prévoir ce qui s'est passé. Déstabilisant.

À la fin je suis bouleversé. Troublé. Content et triste. Ne comprenant pas comment recevoir l'énergie du public. Beaucoup n'avaient jamais vu de clown, n'avaient aucun point de référence, alors pour une approche du clown qui se positionne par rapport au clown de cirque, à la pantomime, à la commedia – bref à plein de références qu'on a chez nous de façon presque innées – c'est tout un défi.
En fait, même le concept du personnage est flou : « Est-ce son vrai nez? Est-ce qu'il est réellement comme ça dans la vie? Est-ce que je peux rire ou alors je vais rire de lui? C'est quoi? »...

Dès l'entrée, par derrière le public, ça a été un choc – au sens propre! La foule tassée, entassée, empilée les uns sur les autres, attendait mon apparition devant. J'arrive de derrière, bousculant et poussant les gens, passant mes valises par-dessus leur tête. Ils sont debout, assis, partout. Mais ils ne savent pas qui je suis – ni ce que je suis. Ils se sentent bousculés alors certains réagissent. Je me fais pousser, repousser, frapper à la tête (deux bonnes baffes de jeunes de 18 ans capables de se battre)... On tire sur les valises, on me pousse. Grüm est sonné... et il panique. Mais il tient bon! Je monte enfin sur scène, effrayé. Devant moi on cri, on parle fort, on me pose des questions que je ne comprends pas... L'énergie est au maximum... je me sens comme dans une turbine... ça tourne, ça pousse et c'est d'une puissance ahurissante.

Et j'ai peur. Vraiment. La terreur. Mais on continue! Il faut continuer!

Grüm ne sait plus quoi faire... Mathieu non plus. C'est la panique générale. Je ne sais pas ce que je reçois. La scène continue... les valises s'enlignent, Grüm connait la routine... mais à l'intérieur Mathieu regarde, impuissant, la scène. J'ai l'impression double d'une foule avide, hyper-généreuse, et en même temps je me sens traqué, proie nue au milieu de lions enflammés. Le feu qui anime cette foule est palpable, seulement je ne sais pas s'il est invitant ou écorchant. Après coup je me dis qu'il était les deux, en fait... Et voilà ce qui en fait sa richesse.

Incapable de lire le public, je reste en mode panique. Je ne prends pratiquement aucun temps de réaction... je me dis qu'il faut en finir rapidement avant de me faire manger tout cru. Grüm devient slapstick, il s'enfarge et se frappe partout. Les objets se révoltent contre lui... Au moins on rit. On rit fort. Il finit par inviter une jeune dame sur scène pour lui offrir sa dernière brochette. Elle est aussi terrorisée que lui. Il lui chante Besame Mucho... il s'emporte trop rapidement... et il se casse avec sa carte... loin... LOIN. Mais même la sortie est tumultueuse. On lui arrache ses valises, qu'il arrive à garder près de lui. Et Grüm... Grüm qui a de la difficulté avec le contact humain... Grüm a grandi énormément pendant cette courte performance d'une quinzaine de minutes. Il n'envisagera plus la scène de la même manière.

Et ça, c'est une bonne chose.

On est habitué à nos belles conditions, dans nos théâtres feutrés où tout le monde respecte les conventions et les tabous théâtraux. Ça permet parfois de belles envolées poétiques, et ça ouvre aussi parfois la porte à une certaine complaisance. Jamais (ou rarement) a-t-on un véritable et réel sens du danger : « Vais-je survivre? ». Dans un monde où beaucoup survivent leur vie, les repères ne sont plus les mêmes.

"Voilà ! Tu a rencontré le public de N'Djamena ! Il est chaud, hein ?", m'a-t-on dit à répétition, en riant.

En regardant les photos prises par Katel et en discutant avec les gens après coup, je réalise que la présence de Grüm a été réellement et sincèrement appréciée. Ce n'était pas facile. Pas du tout. Ce n'est pas ce que j'envisageais. Pas du tout. Et voilà pourquoi cette expérience est essentielle. On parle du choc, on cherche le choc, on se déplace pour le vivre... mais on est jamais prêt. Jamais. Il nous trouble toujours. Et il nous pousse vers l'avant.

Tout va bien!

- Mathieu -







PS – Le cerveau humain fatigué fait des choses étranges... Voici ce que j'ai tenté d'écrire le soir du 10 décembre en me couchant... ça a duré 3 minutes 38 secondes et je me suis endormi d'un coup, les mains sur le clavier. J'ai laissé les erreurs et les inepties... j'étais certain d'écrire quelque chose pour vrai, je vous jure...!

35 heurs de transit de dianche à mardi Mtl-London-Addis Ababa-Ndj
Précédées de 4h de vol semedi Banff-Mtl
-35 à Bnff
32 à Ndjmna … ça fait bpc de degrés, ça.

Gdjirundkasdj jds mais dne alors dedmdfh
éta de fatigue extrême...

jw reviens demin.


--
Crédits photos : Katel le Fustec

4 commentaires:

  1. Ça alors ! Nous qui avons pris la peine de documenter à fond ton dossier prudence/sécurité au Tchad, nous avons complètement oblitéré ce cas de figure. Toi Christian, le spécialiste consulaire, qu'as-tu prévu en cas de turbulences autour de Grüm ??? Y aurait-il une brigade des cas spéciaux ? Bzzz Jocelyne

    RépondreSupprimer
  2. Merci pour cette belle histoire, Mathieu. Je peux imaginer ta terreur, et j'admire ton courage d'interprète. J'ai hâte de lire la suite...

    RépondreSupprimer
  3. Merci vraiment de partager cette expérience déroutante, terrifiante. Tu racontes ça magnifiquement. J'ai été très touchée en lisant ce billet; merci! Bonne suite d'expérience!

    RépondreSupprimer
  4. J' ai toujours été épaté de la réaction de spectateurs africains lors de la présentation d'un film ou d'une pièce de théâtre. Ça me rappelle ce qu'on nous enseignait sur la participation du public dans le théâtre de la Grèce Antique. Pou

    RépondreSupprimer