jeudi 26 décembre 2013

Jour 12 - Bientôt la fin

Samedi 21 décembre 2013
N'Djamena s'embellit... et quel nez pour qui?


Rare photo des rues de N'Djamena


N'Djamena, comme tant de choses en ce bas monde, gagne en beauté avec le temps... ou plutôt, c'est sur la durée que notre œil apprend à en voir la beauté. Ce qui, les premiers jours, me choquait – poussière, habitations de fortune, saleté, pauvreté apparente – me semble maintenant bien normal et, en fait, je me rends compte de la réalité brute et concrète de la vie que l'on tente de masquer chez nous.


« Je préfère manger les mains sales... sinon j'ai l'impression de manquer quelque chose. Je me lave après. », me dit-on. En clando en pleine nuit tchadienne, passant dans les rues en terre battue, croquant la poussière et plissant les yeux j'ai perdu, pendant quelques instants, mon regard de touriste. C'est quand on cesse de comparer à notre contexte à nous que l'on arrive à percevoir que ce qui se vit sous nos yeux, c'est la Vie. C'est la vie de ces gens, qui ne se trouvent pas sales et délabrés. Car ils ne le sont pas.

Oui, la vie est dure. Non ce n'est pas salubre partout et l'hygiène est un problème. Oui on a souvent un sentiment de désolation... et en même temps la force de survie, la résilience, l'entraide, la générosité, la chaleur de ces gens nous font réaliser qu'on arrive toujours avec un lot d'à priori, d'idées du confort et du bien-être. La vie à N'Djamena ne s'arrête jamais. Le silence n'existe pas. Les gens qui discutent, les prières qui commencent au beau milieu de la nuit, les chiens qui aboient, les coqs qui chantent, les klaxons de moto... Les rues de Montréal vont me sembler bien silencieuses à mon retour.

Cet après-midi nous avons goûté à la générosité tchadienne dans toute sa splendeur. Vangdar, directeur artistique de la compagnie Themacult, nous a invité chez lui pour diner. Un festin traditionnel tchadien. « Des portions garçon », dit-il en riant! Avec lui, trois de ses comédien.nes et Djamal Kossi, metteur en scène et mari de Mariam Kossi, directrice artistique de l'autre compagnie théâtrale d'importance à N'Djamena, Kadja-Kossi. Au menu : la boule de maïs et la boule de manioc, toutes deux des grosses boules de pâte rappelant un peu la polenta. Pour accompagner : la sauce longue au poisson, la sauce gombo à la viande et la sauce poulet. Et puis salades, tomates, oignons, concombres en quantité industrielle. Et on se lance. Tout se passe avec les mains... et il faut savoir que ces trois sauces – surtout la longue – sont gélatineuses et gluantes. Savoureuses sans aucun doute, mais d'une texture qui pourrait en rebuter certains. Moi je suis habitué au natto japonais alors j'y plonge avec joie. Un défi!... On doit prendre un morceau de boule, la compacter un peu dans sa main puis essayer d'aller récupérer cette sauce qui glisse entre les doigts et te relie à ton assiette. Mais j'y suis arrivé comme un pro – avec Djamal comme coach on ne peut pas faire autrement. Ici, lorsqu'ils ont mijoté, on mange les os, les arrêtes, les cous de poulet en entier.

Ensuite, c'était la dernière représentation de « L'heure du conte » à l'IFT, 16h. Virginie et moi avons présenté notre version de « La Grenouille et le Crapaud ». Ça s'est bien passé, on a bien rigolé. Puis les jeunes étaient invités à venir raconter leurs histoires ou leurs devinettes. Moment de partage sous l'Arbre à Palabres.

Jeudi matin et ce matin je travaillais, à l'initiative de Virginie, avec un groupe composé uniquement de femmes. Atelier de clown et de théâtre physique. Il n'est pas facile de déplacer les femmes dans ce pays. Beaucoup d'obligations et d'attentes. J'étais très heureux. En effet, la comédie et le clown ont longtemps été l'affaire des hommes... Et quel bonheur de toucher à des univers différents. Ces ateliers m'ont provoqué de nombreuses réflexions qui viennent s'ajouter à celles provoquées par mes représentations devant public. En soirée nous avons beaucoup parlé du théâtre et du clown avec Léonie, Djafat (LE clown tchadien) et Céline (qui travaille pour une ONG autour des questions de sécurité alimentaire). Je me demande d'abord quel est le théâtre du Tchad. En effet, on parle souvent du public très – voire trop – participatif. On parle d'éduquer le public... mais si on prend la question à l'envers, on peut se demander quel théâtre est adapté à la mentalité et aux besoins d'ici. Pourquoi s'entêter à présenter un théâtre à l'italienne? Quelle forme de théâtre nait ici, dans la terre sablonneuse du pays? Et je pose la même question pour le clown. Nous travaillons avec le petit nez rouge, mais ce petit nez est très « blanc » dans ce qu'il porte comme références. À la base, c'est le nez du soulon qu'on excuse d'être con parce qu'il est bourré. Mais le nez des noirs ne devient pas rouge... et si oui on ne le voit pas! Alors quel est l'outil à trouver ici? Quel est le masque? Quel costume? Quel humour?

De grandes questions qui nous ont fait philosopher longtemps, toute la soirée même... qui s'est terminée en dansant jusqu'aux petites heures au bar « Le Kirikou ». J'ai même dansé! Ben si! Entouré de danseurs, et avec Léonie comme coach de danse camerounaise, je n'ai même pas vu le temps passer! On a peut-être un peu exagéré d'ailleurs...



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