Samedi
21 décembre 2013
N'Djamena
s'embellit... et quel nez pour qui?
Rare photo des rues de N'Djamena
N'Djamena,
comme tant de choses en ce bas monde, gagne en beauté avec le
temps... ou plutôt, c'est sur la durée que notre œil apprend à en
voir la beauté. Ce qui, les premiers jours, me choquait –
poussière, habitations de fortune, saleté, pauvreté apparente –
me semble maintenant bien normal et, en fait, je me rends compte de
la réalité brute et concrète de la vie que l'on tente de masquer
chez nous.
« Je
préfère manger les mains sales... sinon j'ai l'impression de
manquer quelque chose. Je me lave après. », me dit-on. En
clando en pleine nuit tchadienne, passant dans les rues en terre
battue, croquant la poussière et plissant les yeux j'ai perdu,
pendant quelques instants, mon regard de touriste. C'est quand on
cesse de comparer à notre contexte à nous que l'on arrive à
percevoir que ce qui se vit sous nos yeux, c'est la Vie. C'est la vie
de ces gens, qui ne se trouvent pas sales et délabrés. Car ils ne
le sont pas.
Oui,
la vie est dure. Non ce n'est pas salubre partout et l'hygiène est
un problème. Oui on a souvent un sentiment de désolation... et en
même temps la force de survie, la résilience, l'entraide, la
générosité, la chaleur de ces gens nous font réaliser qu'on
arrive toujours avec un lot d'à priori, d'idées du confort et du
bien-être. La vie à N'Djamena ne s'arrête jamais. Le silence
n'existe pas. Les gens qui discutent, les prières qui commencent au
beau milieu de la nuit, les chiens qui aboient, les coqs qui
chantent, les klaxons de moto... Les rues de Montréal vont me
sembler bien silencieuses à mon retour.
Cet
après-midi nous avons goûté à la générosité tchadienne dans
toute sa splendeur. Vangdar, directeur artistique de la compagnie
Themacult, nous a invité chez lui pour diner. Un festin traditionnel
tchadien. « Des portions garçon », dit-il en riant! Avec
lui, trois de ses comédien.nes et Djamal Kossi, metteur en scène et
mari de Mariam Kossi, directrice artistique de l'autre compagnie
théâtrale d'importance à N'Djamena, Kadja-Kossi. Au menu : la
boule de maïs et la boule de manioc, toutes deux des grosses boules
de pâte rappelant un peu la polenta. Pour accompagner : la
sauce longue au poisson, la sauce gombo à la viande et la sauce
poulet. Et puis salades, tomates, oignons, concombres en quantité
industrielle. Et on se lance. Tout se passe avec les mains... et il
faut savoir que ces trois sauces – surtout la longue – sont
gélatineuses et gluantes. Savoureuses sans aucun doute, mais d'une
texture qui pourrait en rebuter certains. Moi je suis habitué au
natto japonais alors j'y plonge avec joie. Un défi!... On doit
prendre un morceau de boule, la compacter un peu dans sa main puis
essayer d'aller récupérer cette sauce qui glisse entre les doigts
et te relie à ton assiette. Mais j'y suis arrivé comme un pro –
avec Djamal comme coach on ne peut pas faire autrement. Ici,
lorsqu'ils ont mijoté, on mange les os, les arrêtes, les cous de
poulet en entier.
Ensuite,
c'était la dernière représentation de « L'heure du conte »
à l'IFT, 16h. Virginie et moi avons présenté notre version de « La
Grenouille et le Crapaud ». Ça s'est bien passé, on a bien
rigolé. Puis les jeunes étaient invités à venir raconter leurs
histoires ou leurs devinettes. Moment de partage sous l'Arbre à
Palabres.
Jeudi
matin et ce matin je travaillais, à l'initiative de Virginie, avec
un groupe composé uniquement de femmes. Atelier de clown et de
théâtre physique. Il n'est pas facile de déplacer les femmes dans
ce pays. Beaucoup d'obligations et d'attentes. J'étais très
heureux. En effet, la comédie et le clown ont longtemps été
l'affaire des hommes... Et quel bonheur de toucher à des univers
différents. Ces ateliers m'ont provoqué de nombreuses réflexions
qui viennent s'ajouter à celles provoquées par mes représentations
devant public. En soirée nous avons beaucoup parlé du théâtre et
du clown avec Léonie, Djafat (LE clown tchadien) et Céline (qui
travaille pour une ONG autour des questions de sécurité
alimentaire). Je me demande d'abord quel est le théâtre du Tchad.
En effet, on parle souvent du public très – voire trop –
participatif. On parle d'éduquer le public... mais si on prend la
question à l'envers, on peut se demander quel théâtre est adapté
à la mentalité et aux besoins d'ici. Pourquoi s'entêter à
présenter un théâtre à l'italienne? Quelle forme de théâtre
nait ici, dans la terre sablonneuse du pays? Et je pose la même
question pour le clown. Nous travaillons avec le petit nez rouge,
mais ce petit nez est très « blanc » dans ce qu'il porte
comme références. À la base, c'est le nez du soulon qu'on excuse
d'être con parce qu'il est bourré. Mais le nez des noirs ne devient
pas rouge... et si oui on ne le voit pas! Alors quel est l'outil à
trouver ici? Quel est le masque? Quel costume? Quel humour?
De
grandes questions qui nous ont fait philosopher longtemps, toute la
soirée même... qui s'est terminée en dansant jusqu'aux petites
heures au bar « Le Kirikou ». J'ai même dansé! Ben si!
Entouré de danseurs, et avec Léonie comme coach de danse
camerounaise, je n'ai même pas vu le temps passer! On a peut-être
un peu exagéré d'ailleurs...
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