Lundi
16 décembre
L'art,
geste d'espoir et de paix...
Aujourd'hui,
une grande partie de la journée a été passée en réunion avec
Taïgue afin de planifier les suites de ce séjour – car il y en
aura. Taïgue en a profité pour nous résumer son travail auprès
des jeunes de N'Djamena depuis près d'un an et auprès des réfugiés
depuis 2006. Je ne cesse d'être frappé par la volonté de fer, par
l'humilité et par l'intégrité de Taïgue dans son travail. Il nous
a rappelé les raisons qui motivent son acharnement à apporter
diverses formations (danse, acrobatie, théâtre) aux jeunes d'ici.
Beaucoup n'en ont jamais fait, certains n'en ont jamais vu. Ils
n'ont ni l'habitude ni la conscience de la scène. Ultimement, le but
est d'offrir des outils de sensibilisation aux tchadiens – la
santé, la paix, la non-violence sont au cœur des préoccupations.
On cherche donc à créer des jeux – éventuellement des pièces –
qui sauront devenir des moteurs de bien-être et de mieux-vivre.
Taïgue
nous a ainsi expliqué les origines du projet « Tallou Nalabo »
auquel nous prenons part. D'abord imaginé dans cinq régions du
Tchad avant d'être réduit à cinq quartiers de la capitale pour
raisons financières, le projet a pour but de réunifier le peuple
par l'art – entreprise ambitieuse s'il en est. En effet, le Tchad a
été tellement souvent déchiré par les guerres civiles que la
rancune et la vengeance sont, malheureusement, chose courante. Le
projet a lieu depuis le mois de juin dans les quartiers de Moursal,
N'Djiari, Chagoua, Walia et Farcha. Les formateurs (danse, acrobatie,
théâtre) travaillent tous les jours, pendant un mois, dans un
quartier, avant d'être permutés. Les résultats de « Tallou
Nalabo » sont probants : on en redemande. Dans certains
quartiers, les jeunes se rencontrent à l'extérieur des ateliers –
et ce de leur propre initiative – afin de monter de petits
spectacles ou simplement de se pratiquer ensemble. Taïgue conçoit
le travail avec les jeunes en trois étapes : d'abord, intriguer
les jeunes par des performances; ensuite, donner l'envie à l'art et
au jeu par des formations à la fois rigoureuses et ludiques; enfin,
utiliser les outils reçus afin de sensibiliser la population.
Le
projet dans les camps de réfugiés est une toute autre initiative
dont les objectifs sont semblables : paix, intégration, retour
à la culture, sensibilisation, unification des différentes ethnies
par l'art. Depuis 2006, Taïgue se rend dans les camps de réfugiés
pendant plusieurs semaines chaque année.. Initiative volontaire dans
un premier temps, elle a failli être annulée lorsque le
Haut-Commissariat aux Réfugiés (UNHCR) a refusé de financer
l'évènement. Les réfugiés se sont révoltés, forçant le UNHCR à
reprendre Taïgue – et, cette fois, à le payer – pour rétablir
la situation. Les participants ont, dans plusieurs cas, changés.
Certains venaient danser le jour et étaient rebelles la nuit, allant
combattre dans les régions. Au fur et à mesure ils ont avoué, ont
laissé leurs armes bref, ils ont trouvé un sens nouveau à la vie.
Le travail dans les camps de réfugiés est très particulier et
demande une grande sensibilité de la part des formateurs. Les
réfugiés sont souvent violents, fâchés, révoltés contre ceux
qui « vont bien ». L'approche doit être faite avec tact
et douceur. Taïgue nous a expliqué que certains de ceux qui étaient
le plus violents au départ sont maintenant les leaders des groupes
de danseurs dans les camps. Touchant.
Nos
ateliers en après-midi avaient lieux sur la scène du Ballet
National dans le quartier de Moursal. Ce groupe est composé de
tout-petits poux de 6 à 10 ans. A-d-o-r-a-b-l-e-s. C'est un si grand
bonheur que de travailler avec les petits. Ils sont disponibles,
frais et, surtout, ils veulent jouer. Ils ont tout ce qu'on se bat
pendant des années à ré-apprendre aux jeunes adultes qui étudient
le théâtre. C'est aussi encourageant de voir cette bande d'enfants
si intéressés par la scène – c'est de bon augure pour les années
à venir!
Je
vous laisse sur ces quelques réflexions, lancées en fin de
réunion :
L'art
est, en soi, politique. Faire de l'art, c'est poser un geste d'espoir
et de paix. L'art permet d'articuler un discours et, ensuite, de le
partager au monde. L'art a une fonction : il offre des outils
permettant d'ouvrir et d'élargir les consciences, de parler du
monde, d'en constater la beauté comme les absurdités et d'y
réfléchir. L'art est moteur de changement.
Liens
pertinents :
Association
Ndam Se Na
**Voir
le reportage du réseau CNN sur le travail que mène Taïgue Ahmed
dans les camps de réfugiés**
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire